Rue Nationale ou Route Nationale à Cour Cheverny ?

 Rencontrant mon ami le Héron lors d’une soirée nénuphars (crêpes, pour vous) organisée par la fée des marais, j’évoquai avec lui et quelques amis, les noms des rues de nos villages,
souvent en rapport avec l’histoire, la géographie, la nature, etc.
La conversation s’orienta vers notre rue Nationale de Cour-Cheverny dont je pensais que le nom était lié au passage dans cette rue de l’ancienne route nationale Blois-Romorantin. En réalité, nous dit le Héron, lorsque, par délibération du 2 avril 1905, le conseil municipal de Cour-Cheverny décida de substituer le nom de rue Nationale à celui de Grande Rue, la route de Blois à Romorantin était une route départementale qui ne devint nationale qu’en 1931. Ce changement de nom n’était, en fait, dû qu’à un «élan» républicain (la IIIe République s’étoffait) du conseil qui, dans la même délibération, rebaptisa la place de la Mairie en place de la République, la rue de Fougères en rue Félix Faure et l’avenue de la Gare en boulevard Carnot.
Pour ce qui est de la route nationale, son histoire commence à la fin du 18e siècle, peu de temps avant la révolution française, époque à laquelle fut construite entre 1770 et 1776 la nouvelle route de Blois à Romorantin. En ce temps-là, la réfection des routes et la construction des nouvelles routes dépendaient des Intendants des Généralités qui en prenaient l’initiative et il se trouve que l’Intendant de la généralité d’Orléans, Monsieur Perrin de Cypierre, était un ami de longue date du comte Dufort de Cheverny, alors propriétaire du château du même nom.

Mais laissons le comte, lui-même nous conter l’affaire (dans ses mémoires) :
«M. de Cypierre arriva le jour de l’an chez moi et, me montrant un plan, il me dit :
«Mon ami, votre chemin de Blois à Cheverny est détestable (il disait la vérité, car quoiqu’il n’y ait actuellement que 6 800 toises, moyennant les sinuosités, avec six chevaux sur une berline, il fallait trois heures pour se rendre de l’un à l’autre endroit) ; j’ai dans ma poche l’arrêt du Conseil qui ouvre le chemin de Blois à Romorantin ; il y aura un embranchement à la Patte d’oie, qui ira par Contres dans le Berry, et par Mont à Bracieux et la haute Sologne. Je suis maître de le faire commencer dès cette année en prenant la direction de Cour-Cheverny…»

Alors il déroula le plan ; je vis qu’il fallait faire trois ponts ; l’utilité était notoire, il ne l’aurait pas proposé sans cela. Monsieur Trudaine et tous les ingénieurs étaient d’accord. Le travail devait être fait par corvée. M. de Cypierre me dit : «Je compte sur votre amitié pour y contribuer en allégeant les pauvres, puisque ce chemin est si utile pour vous. »

Je me taxai moi-même à 12 000 livres payables deux milles livres par an. À l’instant, les ouvriers furent mis et, dans les six ans, j’eus un chemin et trois ponts très beaux. Je ne fais pas une fois ce trajet sans avoir présente à l’esprit la reconnaissance que je dois à Monsieur de Cypierre».

Pour compléter ce récit, le Héron nous expliqua que ce fut à la fin du 17ème siècle et au 18éme siècle, sous Louis XIV, grâce à Colbert, puis ensuite sous Louis XV, que le réseau routier connut sa première grande transformation ; la création en 1728 par Trudaine d’une administration autonome – qui devait devenir les Ponts-et-Chaussées – allait à cet égard être décisive et la corvée des chemins, rendue obligatoire dans tout le royaume par l’Instruction du 13 juin 1738 du contrôleur général Orry devait procurer aux ingénieurs des Ponts-et-Chaussées de chaque province la main-d’oeuvre qui leur était nécessaire. La même instruction chargeait les ingénieurs, en accord avec les intendants des provinces, de commencer les ouvrages et de dresser les plans des routes à ouvrir ou à aligner en privilégiant le chemin le plus court.

Anciennes divisions administratives françaises, les généralités étaient dirigées au début du 17ème siècle, par des intendants et les grandes lignes du nouveau réseau (autre que celui des routes royales existantes) furent donc laissées à l’initiative de ces intendants qui choisirent toujours les tracés les plus courts autant qu’il était possible (1), ce qui explique le choix de l’itinéraire et la rectitude de la route de Blois à Cour-Cheverny. La construction de cette nouvelle route s’inscrivait donc dans un plan d’ensemble d’amélioration des liaisons routières.
À l’époque, l’ancienne route de Blois à Romorantin passait par Bracieux, Courmemin et Veilleins ; elle était en très mauvais état et le parcours était long et sinueux dans la mesure où, outre le détour par Bracieux, elle passait par les Ponts Chartrains pour franchir le Cosson et rejoindre ensuite Vineuil et Mont. (Le tracé en est bien visible sur une ancienne carte de la Généralité d’Orléans de 1740) (2). Monsieur de Cypierre aurait pu refaire la route en conservant l’ancien tracé par Bracieux, ce que souhaitaient les Phelippeaux, propriétaires de la terre d’Herbault, commune de Neuvy près de Bracieux. Mais, privilégiant le tracé rectiligne et son amitié pour le comte Dufort de Cheverny, il opta pour une nouvelle route, depuis le pont Jacques Gabriel construit en 1724 après la destruction de l’ancien pont de bois par la débâcle de la Loire et perça la nouvelle voie (l’actuelle avenue Wilson en Vienne) directement et droit jusqu’au bourg de Saint-Gervais et la Patte d’oie de Saint- Gervais (qui date de cette époque et d’où partirent, vers l’est, la nouvelle route de la grande Sologne par Mont-près-Chambord et Bracieux et, au sud, la route de Châteauroux par Contres.)

Ce fut un certain Roger, d’origine blésoise et ingénieur en chef de la généralité d’Orléans, qui dressa les devis et dirigea les travaux de la chaussée ainsi que ceux des ponts de Saint-Gervais, de Clénord et de Cheverny, qui furent exécutés par les sieurs Huet et Fauconnet, entrepreneurs à Blois (3).
Par la suite, la nouvelle route devint la route départementale n° 7 par décret impérial du 7 janvier 1813 et ne devint route nationale (RN 756) que par décret du 11 mars 1931, suite à la loi du 16 avril 1930 qui autorisa le classement dans la voirie nationale de 40 000 km de routes et chemins appartenant à la voirie départementale et communale. Hélas, cela ne dura que 42 ans puisqu’elle fut déclassée à compter du 1er janvier 1973 (comme 30 000 km de voies).

En conclusion, comme le comte Dufort de Cheverny, ayons toujours une pensée pour Monsieur de Cypierre car, comme l’a écrit Monsieur de la Saussaye, Cour-Cheverny doit l’essentiel de son développement à sa situation sur l’axe Blois/Romorantin et le déplacement de la ligne postale et de voyageurs reliant Blois au sud du département, jusqu’à Bourges et au delà.

(1) Guy Arbelot : La grande mutation des routes de France au 18e siècle.
(2) Médiathèque d’Orléans.
(3) Catherine Bergevin et A. Dupré : Histoire de Blois vol. II

Le Héron - La Genouille n°15 - Avril 2012

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