“La Caneterie", "l'Ouasserie" (Cheverny) et la Taurie" (Cour-Cheverny)

Dans l’article sur «La Gravouillère» (cf. La Grenouille n° 9) La Libellule évoquait le célèbre établissement peint par Monet et Renoir «La Grenouillère» et cela m’a donné l’idée de rechercher les lieux-dits de nos communes évoquant l’habitat des animaux fréquentant nos campagnes ou nos fermes. 
En effet, selon le dictionnaire Trésors de la langue française (DTLF)La Grenouillère est un lieu marécageux où les grenouilles se retirent - suffixe «ère (ier *)». Et il se trouve qu’à l’occasion de ses recherches sur les suffixes se terminant en « ier ou ière », mon ami le Héron a appris, à propos de la formation des toponymes, que le suffixe en «erie ou ie» était un doublet demi-savant du suffixe ière, (plus récent) qui apparaît fin XIIIème siècle. Dans ces deux cas la formation du toponyme est identique. 
Mes recherches m’ont donc amené à découvrir que sur le territoire de nos deux communes, plusieurs lieux-dits répondaient à ces critères : 

L'Ouasserie, la Canneterie
  • «La Caneterie» qui s’écrit aussi «Cannetterie», située sur la route de Cellettes à Cheverny signifiait en vieux français : «lieu où vont habituellement les canards (1) (ne pas confondre avec la « Canarderie » (plus récent) : endroit où l’on élève des canards). 
  • «L’Ouasserie», située aussi à Cheverny, sur la route de Cellettes, un peu avant La Caneterie, pourrait évoquer un lieu ou l’on rencontre des pies. En effet, si je n’ai pas trouvé «ouasse» dans les dictionnaires, même de vieux français, ce mot (qui signifie «pie») figure dans un recueil de patois du Centre de la France (notamment Berry, Nivernais, Sologne) (2). ainsi que dans l’«histoire naturelle des oiseaux » de Buffon qui nous apprend d’ailleurs qu’au Moyen-Âge on élevait des pies (comme les corbeaux) pour la chasse. Nous retrouvons aussi « ouasse » dans les paroles d’une chanson enfantine ancienne : «À l’ouasse, corbasse, que l’diable te fricasse…» (3) ; et, pour être complet, il convient de préciser que dans le Berry, «ouasse» correspondait plutôt au corbeau, aussi appelé «pissoire» (la pie est un corvidé) et que la «pie-grièche» était appelée «pisse-ouasse». Mais, pour ce lieudit, une autre explication est possible (plus vraisemblable ?) puisqu’il pourrait s’agir aussi de la maison du sieur Ouasse ! J’ai trouvé la trace de ce nom de famille dans l’inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790 du Loir-et-Cher qui relate le mariage, à Chambord en 1750, de Claude Ouasse, garde à cheval des plaisirs du roi et de Marie Barbou… Nul doute que ce garde du roi devait être très bavard ou agité ! (4) et (5) 
    La Taurie - La Petite Taurie
  • «La Taurie *» (voie des Trudelles à Cour- Cheverny) : ce nom semble être en rapport avec un animal : le taureau. S’agit-il cependant d’un nom d’homme avec le suffixe «ie» (homme fort, trapu comme un taureau), ou d’un endroit où se trouvaient des taureaux ou des «tauries» (pré, bâtiment les abritant) ? En effet, «taurie» est le féminin de taureau et signifie dans le Dictionnaire du Moyen Français, 1330-1500 (DMF) : génisse (du lat. taura «vache stérile»), fémini de taurus, (taureau). Mais l’affaire n’est pas si simple puisque ce lieudit s’appelle «la Tourerie» * sur la carte de Cassini (établie, vers 1750) et cette dénomination antérieure interpelle sur la véritable origine de ce toponyme qui pourrait être soit issu du nom du propriétaire «Toure», soit plus vraisemblablement lié à un droit féodal «La tourerie» dont la définition dans le Dictionnaire du Moyen Français (DMF) est : «ferme de la garde d’une tour», le mot ferme pris, dans ce cas, dans l’une de ses significations du Moyen-Âge : «convention d'exploitation d'un droit» (DTLF). J’ai trouvé plusieurs exemples de l’emploi de «tourerie» dans ce sens et également dans le sens de droit réel perçu ou reçu par un seigneur à cause de son fief, notamment à propos des droits féodaux attachés à la propriété de la «chastellenie de Warc» (Duché de Rethel en Champagne Ardennes) : « La tourerie de Warc » est mentionnée dans un «aveu» du 8 avril 1407 (6). Également à propos de la baronnie et de la tour de Trèves, un auteur précise : « Les nombreux fiefslige (7) de la Seigneurie de Trèves devaient, selon leur importance, 40, 20 ou 15 jours en la tour, à la requête du Baron…» (8) 
La Taurie









Avec les suffixes iere et erie, vous possédez maintenant, chers lecteurs et lectrices, quelques «clefs» pour trouver vous-mêmes l’origine de certains noms de lieux-dits, et je vous propose de poursuivre mes recherches avec mes amis la Libellule et le Héron dans les prochains numéros de « La Grenouille ». J’ai déjà une piste pour la prochaine enquête : les «faux amis»... ?

Sources 
(1), Le «Prégorier» 
(2) Glossaire rural du Centre par Jean Baptiste Luron 
(3) Maison du Patrimoine oral de Bourgogne à Anost et médiathèque de Nevers 
(4) M. de Martonne : Inventaire….archives civiles séries C.D.E. et E supplément. 
(5) Ouasse ou Louasse : ces deux noms d’hommes sont toujours portés de nos jours. 
(6) Revue Historique Ardenaise, tome 8 de Paul Laurent – p. 150 * Merci à Monsieur de La Villejegu qui à collaboré à la recherche de l’origine de la Taurie dont il est l’actuel occupant. 
(7) Un fief est un bénéfice pour le vassal. Il donne lieu à des obligations en réciprocité ; le Fief-lige est un fief dont la concession donnait lieu à un hommage lige, par lequel le vassal s'engageait à soutenir son seigneur envers et contre tous, et qui engageait tous ses biens.
(8) La Loire historique – p.712 – de G. Touchard-Lafosse.   

Le Héron - La Grenouille n°10 - Janvier 2011

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