L'origine du nom de Cheverny va nous rendre chèvre...

Figurez vous que l’autre jour, passant par Chercherelle (Cour-Cheverny), en allant voir ma cousine Guernazelle à Bracieux, j’ai rencontré une vieille chèvre attachée à un piquet qui, m’apercevant, engage la conversation pour tromper son ennui. Elle me dit : – “Tu es bien de Cheverny toi ?” – “Oui” lui répondis-je, “pourquoi ?” – “Eh bien”, me dit elle, “sais-tu que le nom de Cheverny viendrait de l’ancienne Capriniacum ou Villa Caprinii appartenant à Caprinius, propriétaire terrien de l’époque Gallo-Romaine ?”
(Caprinius avec “acum” nous indique l’origine gauloise). – “Je l’ignorais ! Continue…” 

Elle poursuit :  
Caprinius ou Caprius vient du latin Capra = chèvre (1). Dans la Rome antique et au Moyen-âge, il était fréquent que l’on donne des noms d’animaux à des personnes, souvent comme surnoms pour faire ressortir un trait de caractère ou une particularité physique : en l’occurrence, têtu ou agile comme une chèvre - plus rarement pour désigner un métier (gardien de chèvres (2) ; quelquefois pour désigner un endroit où se rassemblaient les chèvres (2)(5). Ainsi tu penseras à moi maintenant… reviens me voir un de ces jours.” 

Je rentrai chez moi, bien décidée à approfondir cette information et, comme toujours, je me plongeai dans les livres de ma bibliothèque (toujours verte). Je dois vous avouer que ce fût un véritable “parcours du combattant”... à devenir chèvre ! En effet, si tous les auteurs (que j’ai lus) qui ont traité le sujet s’accordent pour donner raison à mon amie la chèvre, l’un d’eux (Stéphane Gendron) n’est pas tout à fait de cet avis et, sans formellement écarter l’hypothèse “Capriniacum”, il évoque une autre thèse (qu’il préfère, écrit-il) : celle de “Caverniacum”, “lieu des cavernes” (grottes ou cavités) du latin “caverna”. Cette confusion s’expliquerait, soit par un phénomène phonétique appelé rhotacisme, soit par similitide entre deux mots phonétiquement semblables, ayant des significations différentes (éthymologie populaire).
Par ailleurs, Cheverny serait, selon lui, l’homonyme de Chevarnay (commune du Petit Pressigny en Indre-et-Loire). Stéphane Gendron (3) ne donnant pas plus d’explications, je n’ai pas pu approfondir sa thèse et, ne connaissant point l’existence de grottes ou autres cavités remarquables dans les environs de Cheverny (ou même Cour-Cheverny) qui pourrait accréditer cette thèse, je décidai de poursuivre mon enquête...

C’est ainsi que je découvris : 

A) Que les formes écrites anciennes de Cheverny étaient : 
  • 1- Dans un manuscrit du VIe siècle : Condita (cité) Cabrinacencis(1) 
  • 2 - En l’an 841 : Cabriniacum (4)
  • 3 - En 1154 : Chevernieum
  • 4 - En 1272 : Chevernium (5) 
  • 5 - En 1315 : Pour la première fois Cheverny apparaît dans un acte notarié du blésois. Puis en 1392 dans l’acte de partage de Jean Hurault (par la suite, au XVIème siècle, à l’époque de Philippe Hurault, on trouve aussi les formes Chiverny voire toujours Chevernium)
Ces différentes formes amènent les observations suivantes : 
  • Cabriniacum a la même origine latine que Capriniacus diminutif de Caprinius
  • Par ailleurs Caprius (= carpinius) serait à l’origine de Cabrianecum (Carpus + acum) qui est à l’origine du nom de Chevregny et de Chabrignac (6-7). 
  • Cabrianecum désigne un lieu ou se rassemblaient les chèvres. 
  • Cabriacum est à l’origine de noms de villages tels que Chevry - dans la région parisienne - (Chevery en 1187 - presque l’anagramme de Cheverny) ou encore de Chavrenay (8). 
  • La terminaison en Y correspond à la terminaison latine “acum” (en Île de France et dans le Centre). 
B) Au IXe et au Xe siècle, les invasions normandes ont touché la région. 

L’étude de l’origine d’un nom de famille anglais : Chevers (Chivers) (9) présente quelques troublantes analogies. Ce nom dérive du vieux “chièvre” français et du français anglo-normand “chivere” = chèvre. Il apparaît en Angleterre après la conquête normande de 1066 et est enregistré dans le livre De Domesday de 1086. Ce patronyme peut correspondre soit à un métier tel que gardien de chèvre soit à un surnom : têtu ou agile (comme une chèvre). 

Alors, quelle conclusion tirer de toutes ces informations qui se recoupent ? Il me semble que la chèvre n’est pas tout à fait étrangère à notre propos…et, cher lecteur, j’aimerais bien connaître votre avis… écrivez moi !


(1) J.M. Cassagne : Origine des noms de villes et de villages.
(2) J.L. Beaucarnot : Les noms de familles et leurs secrets.
(3) Stéphane Gendron : Les noms de lieux du Centre.
(4) Bull. Sté archéologique et historique de l’Orléanais - 1942
(5) Revue linguistique Romane, Vol.57
(6) Alexander Falileyev : Dictionnaire des noms de lieux Celtiques.
(7) Marie-Thérèse Morlet : Les noms de personnes de l’ancienne
Gaule (NPAG).
(8) Jean Lebeuf : Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris.


Le Héron - La Grenouille n°6 - Janvier 2010

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